INTERZONE ET VILLE LINÉAIRE

RÉCITS ET PRAGMATIQUE

Résumé du diplôme d'architecture obtenu en Juillet 1998.

 

1° MÉTROLOLISATION CHAOTIQUE

a/ Chaos visuel              
Des boîtes métalliques et leur enseignes électriques, leur néons, des friches commerciales, quelques habitations en front de route, mitoyennes, collectives, modernes, néo-régionalistes, un supermarché. Des consessionnaires automobiles, des boulangeries et des bouchers, aucun trottoir et quelques tronçons de route éclairée. Des platanes et des panneaux publicitaires. Des entreprises du bâtiment, un Mac Donald, des hypermarchés, des stations essence abandonnées et partout ce vide agricole ponctué par des champs pavillonnaires. Voilà une vision très banale du territoire sur lequel les discussions sont ouvertes et les énoncés incertains.

b/ Radicalités périphériques      
On peut parler de chaos visuel et se dire que ce que l'on voit sont des manifestations de phénomènes urbains complexes mais de phénomènes déjà  énoncés dans le territoire urbain par excellence : la ville telle que nos esprits croient encore la capturer. Ces phénomènes urbains seraient donc propagés hors de la ville et la réflexion ne porterait pas sur la nature de ces phénomènes mais sur les stratègies d'intervention dans ces territoires périphériques en leur appliquant des analyses et des projections largement consommées en d'autres lieux. Sans voir que ces phénomènes ne sont pas des épiphénomènes (leur productions sont exogènes à la production urbaine classique) et qu'ils submergent dans leur alterités et leur propagations géographiques la ville séculaire, celle qui acceuillit les générations d'après-guerre, les artisans involontaires de la révolution territoriale actuelle. Cette phagocytose de la ville classique par cette nouvelle altérité territoriale, la métropolisation, s'épanouit à travers tout le territoire national sans atteindre les proportions californiennes.

c/ Récits           
La radicalité de ce mouvement légitime d'autres méthodes d'investigations et d'analyses, de nouveaux systèmes de réflexion et de nouveaux récits sur la ville et ses devenirs, ceux-là même qui dictent de toute leur banalité une réalité inscrite sur des surfaces chaotiques. Le territoire devient l'affaire de mécaniciens qui plongent bras et mains dans la machine complexe. Devant les manifestations déstabilisantes de ces périphéries, l'interprétation rationnelle ne peut plus observer et éluder la complexité de cette mécanique périphérique. Délirer sur les devenirs urbains contemporains avec l'idée que la dichotomie campagne-ville n'existe plus, balayée par des phénomènes périphériques inaltérables, devient un prétexte à exister et à écrire de nouveaux récits urbains.

 

2° LA MATRICE CRITIQUE

a/ Surimpression pragmatique 
Un champ de confrontation conceptuel, appuyée d'une pragmatique comme mode d'analyse urbaine est capable d'inventivité narrative sur l'urbain. A ces nouveaux territoires, une matrice critique  s'impose aux méthodes de pensées classiques subordonnées par les servitudes d'un rationalisme inapte à conceptualiser et à visionner ce nouveau matériau. Cette rationalité éprouvée trouve sa limite interprétative dans le maelström urbain actuel; elle continue de rabattre ce réel en devenir sur des shèmes et des paradigmes stables reposant sur un humanisme incapable de se réaffirmer. Elle se devait de rechercher dans le matériau-ville une vérité et la vérification de cette vérité. En rabattant l'objet de la reflexion à un dessein le dépassant, cet humanisme enfoui1, on lui ôtait sa singularité d'existence, son immanence, et on lui subordonnait une échelle d'idéalité à laquelle le dessein se pliait. La recherche n'a plus pour objet d'inscrire sur une table une vérité révélée, transcendantale à l'objet; la recherche est l'invention d'un réel présent en variation continue. Seule une recherche en mouvement et dans l'instant peut rencontrer et raconter une réalité. Cette règle, en dehors de tout système de pensée, ne s'appuie donc plus sur une vérité révélée mais sur une vérité pragmatique2. On se débarasse des desseins transcendantaux rabattant la ville sur une idéalité pour laisser l'immanence des choses se dessiner et le récit commencer. La destitution idéale doit être abouti pour laisser la pragmatique opérer et pénètrer un monde d'expérimentations auquel le matériau-ville dans le réel se livre sans violence.
En déplaçant le mot-ville dans un réseau de lignes conceptuelles, à chaque intersection, la ville sera soumise à des questionnements déterminés par un concept partiel et singulier; chaque moment sera régi par des règles du jeu locales3 pour enrichir la ville de réalités nuancées. L'objectivité se matérialise par la multiplicité des déplacements de la ville (idée et objet) et par la quantité la plus exhaustive de ses oscillations.

b/ Familles conceptuelles           
Les transformations urbaines visibles ne suffisent pas à expliquer toute la complexité de leur matérialisation4. La forme et ses concepts ne peuvent dire tout de son existence et les forces qui l'animent ne peuvent être appréhendées qu'en questionnant sa production et ses modes de croissance. Pour approcher cette autre dimension réelle, des concepts ni formels ni structurels, inventés par Deleuze-Guattari ou Lyotard peuvent requestionner les phénomènes urbains contemporains.
La première famille questionne la dimension communicative de la ville à l'aide des concepts de flux et de codes pris dans des mouvements de "reconnaissance" (reterritorialisation) et de "subversion" (déterritorialisation). Un concept cristallise cette dimension fluctuante : la machine.
Un second ensemble peut se nommer la force, cause de déformation d'un corps, capable d'en modifier le mouvement, la direction, la vitesse. En mesurant ces transformations dynamiques, on touche aux devenirs "énergétiques" des territoires urbains.
La troisième famille porte sur les ensembles et les masses sociales. On distinguera les ensembles molaires et les masses moléculaires qui distinguent des régimes différents d'existence sociale; ces caractères mesurent les rapports de force entre institutions et corps social libre.
Un ensemble de concepts traduisant une temporalité singulière, une variation continue hachée d'accidents et de ruptures soumettront ces territoires urbains aux idées de devenir, de seuil, de limite, de degré.
La diversité et l'originalité de ses types conceptuels permettent d'atteindre au récit d'une nouvelle réalité urbaine délivrée d'une finalité transcendantale ou performative6. Cette série de concepts dénoncent d'autres réalités des territoires urbains du haut Languedoc. A des dimensions variables de la ville apparaîtront de nouveaux mots : interzone, ville linéaire, machine d'écartèlement, strates territoriales, masse critique, appareils de capture urbains, microurbanisme.

 

3° LES DEVENIRS URBAINS

a/ Les appareils de capture urbains
A partir des années cinquante, une économie de l'effacement opère dans le champ social et transforme le territoire national en profondeur. Deux nouvelles machines molaires capitalistes, la télévision et la grande distribution, tendent à supprimer la dichotomie sociale et territoriale de la ville et de la campagne au profit d'un champ social homogénéisé. Cette tendance soutenue par une troisième machine technique, l'industrie automobile, sont des appareils de capture urbains qui gomment les spécificités rurales en diffusant les mêmes marchandises et les mêmes informations sur tout le territoire national affranchi d'obstacles géographiques et sociaux. Un nouveau territoire urbain englobant phagocytose la ville classique en même temps qu'elle efface les localismes ruraux. Cette capture opère dans la dernière coupure des flux (d'informations et de marchandises) de leur chaînes machiniques respectives, c'est à dire après les opérations de formatage-traduction et d'enregistrement-interprétation, pendant la propagation des marchandises et des informations recodées. Les forces mises en jeu dans ses systèmes de coupure nécessitent une diffusion capable de toucher les grands ensembles molaires et grégaires de population sur tout le territoire national. La propagation et l'impact de la télé ne se rattachent plus à la géographie, exprimés par des taux d'audiences, indices d'une bonne performativité tandis que la grande distribution remplace les autres modes de consommation en hypertrophiant sa propre forme. Le champ social et le territoire urbain s'homogénéisent sous les transformations opérées par ces captures périphériques, là où les machines opèrent vite et à grande échelle. La ville classique, elle aussi, dans cette phagocytose métropolitaine devient une strate particulière noyée dans une multiplicité de strates urbaines.

b/ Les strates territoriales          
Un territoire, urbain a des limites avec un intérieur et un extérieur : c'est un système différencié et duel. Le centre et la périphérie (avec leurs signes distinctifs identitaires) se contaminent l'un l'autre et il est illusoire de s'attacher à retrouver ce qui est déjà effacé. Dans le champ urbain qui se dessine sous l'impulsion des captures (une capture qui opère une dernière déterritorialisation se réalise avec une machine technique de dernière génération, la machine des informations numériques : une vigilance particulière doit être menée sur cette politique pour mesurer l'impact des transformations sociales et territoriales),les limites, les formes et les frontières sont caduques : les devenirs intenses remplacent les devenirs formels et symboliques. Au territoire et à son système fonction-forme se substituent les notions de strate et de force qui sont capable de raconter, de délirer6 quelques énoncés affirmatifs sur ces devenirs territoriaux. La strate naît de forces de résonnace, de sédimentations, de fixations programmatiques avec des vitesses contextuelles, de régions hétérogènes et de degrés d'attractions différenciés par des vecteurs particuliers. Ces vecteurs sont des flux hétérogènes d'hommes, d'informations, de marchandises, de capitaux, de désirs et d'intérêts. Pour résonner, une strate est traversée par une certaine quantité de ces flux soumis à des synthèses connectives dans des sédimentations, des fixations programmatiques comme un lycée, une prison, un bordel. La cristallisation de ces flux augmente le degré d'attraction d'une strate territoriale qui accepte des zones de puissance et de fragilité : les quartiers et leur limites n'existent pas, le vide hégémonique de cette nouvelle géographie urbaine devient un élément abstrait (une investigation critique devrait monter une analyse différentielle des vides géographiques) alors qu'il était une pince de la dualité territoriale classique. Des polarités économiques, hédoniques, sélectives et des résonances privilégiées avec telle autre strate singularisent chaque strate. Certaines sont purement touristiques, d'autres des musées ou des banques démesurées mais toutes seront de plus en plus englobées dans une multiplicité de strates où les champs de puissance et de fragilité se contamineront (le tiers-monde n'est plus la simple affaire du Sud). Ces sédimentations différenciées s'inscrivent dans un continuum temporel, régies par des involutions en mouvement, la strate étant un champ de forces instables. Cette organicité exige une cartographie différente, le simple calque des lieux ne renseigne pas sur les forces et les devenirs . Une autre cartographie doit exprimer ces stratifications. A travers les zones isochrones des hypermarchés, on peut lire plusieurs forces d'attractions et mesurer les puissances d'achat et de capture sur les ensembles molaires de populations autochtones et les différents types de sédimentations urbaines. Cette cartographie est une représentation des forces capitalistes molaires qui animent une strate urbaine. Ces sédimentations essentiellement capitalistes en périphérie sont en présupposition réciproque avec de nouvelles urbanités.

c/ Urbanités nuancées et maille indifférenciée
Les strates existent si de nouvelles urbanités issues de politiques de capture et d'effacement surgissent et colonisent les territoires périphériques. Une troisième machine technique, l'industrie de l'automobile, favorise et accélère l'homogénéisation des champs social et géographique. L'homme moderne  habitant le noyau historique peut se satisfaire des services que lui offre la ville dans un périmètre contrôlable et identifié par son corps alors que l'homme contemporain urbain habitant les périphéries jouit d'une puissance de mobilité décuplée qui lui permet de ne plus être subordonné à l'espace mais seulement au temps. Il échappe au périmètre classique pour choisir ses destinations à travers les strates hétérogènes. C'est une différence de moyen plus qu'une différence de nature qui distingue les deux hommes.  Les strates territoriales sont un ensemble de champ de forces indifférenciées où la mobilité mécanique individuelle accentue la lutte subjective et privée, entre liberté moléculaire et contrôle molaire. Les strates territoriales sont une combinatoire d'immersions molaires servis par un système routier arborescent, hiérarchisé, traversé par des investissements moléculaires. Les combinatoires de vies sont autant de scénarios de vies que l'on peut deviner à travers l'indice matériel de la strate : l'ensemble du réseau viaire gommé de toutes ses hiérarchies arborescentes : la maille indifférenciée. Ce diagramme est une représentation d'une réalité, des caractères informels et indéfinis de la quantité et de la qualité des forces qui la machinent. Dans la maille, chacun choisit ses masques libidinaux et ses segments sociaux comme forces de dé-stratification. Chaque homme contemporain inscrira sur cette maille sa propre territorialité qui déstabilisera toute politique de contrôle et de programmation comme l'attraction molaire et les zones isochrones des hypermarchés.
La métropolisation se caractérise par un mouvement de stratification urbaine englobant et définissable par des devenirs "énergétiques"où la ville classique devient une strate singulière qui se fond dans l'ensemble et par la maille indifférenciée, dernière inscription commune à toutes les strates, abstraction d'une combinatoire moléculaire traversant les forces molaires de stratification et dernière représentation d'une urbanité séparé du dualisme classique (ville-urbanité et campagne-ruralité).

d/ Glissements publics 
Dans le même mouvement, l'ordre public dans les strates occupe de nouveaux territoires, de nouveaux espaces. Les sédimentations sont éthérées : la masse est la sensation physique qui n'existe plus. Cette dilution massique consécutive de vitesses de sédimentations toujours plus rapides et d'une diffusion indépendante de l'ancienne servitude à la distance entraîne une appréhension difficile de l'espace public qui reste dans sa radicalité le lieu des manifestations et des grèves. A partir de cette hypothèse simple et efficace que l'espace public est foncièrement la rue reconnue comme la triangulation sensible de la masse urbaine, du piéton et de la voiture, on observe si cette constitution demeure dans les strates périphériques. Dans celles-ci, la masse est diluée et le piéton a disparu. La lisibilité, la reconnaissance et l'appropriation d'un espace public est difficile, insurmontable. Dans ce mouvement de la disparition, des machines molaires capitalistes recodent de nouveaux espaces où le public glisse vers un intérieur clôturant entrainant la transformation de son caractère et de sa nature. La galerie marchande, la télévision ou la route sont de nouvelles expressions de l'ordre public et de la montée en puissance des machines molaires capitalistes et de l'individu (et de sa sphère privée). Ces transformations ne se correspondent pas, n'obéissent pas à une même mécanique : l'ordre public se retrouve dans des comportements de conduite, dans des espaces d'asservissement à des hyper-marchandises7 ou encore dans des espaces de transmission d'informations télévisuelles. Ces nouveaux espaces sont recodés pour une meilleure performance, c'est à dire que l'efficience est la finalité de ces systèmes et le contrôle souple et cynique des ensembles molaires de population devient l'outil de cette politique socio-économique.

e/ La machine d'écartèlement
Une autre tendance issue de ces stratifications et soumise à la conjonction de deux mouvements se profile : elle porte sur les processus d'identification sociale dans les nouvelles strates. Dans une rue, sans un mot, ces processus d'identification sont nombreux : on reconnait autrui par une identification corporelle sur un territoire de contact, c'est un premier mécanisme de connaissance de l'autre comme sujet unique et singulier.Avec le glissement de l'ordre public et l'espace strié occidental8, ces processus n'existent plus, le zoning pavillonaire, les voitures et les galeries marchandes sont autant d'espaces striés et clos. La séparation corporelle, cette absence d'identification agencé par l'espace strié est la première pince d'articulation d'une machine d'écartèlement du champ social stratifié. L'autre pince de la machine substitue la connaissance de l'autre par une information évènementielle de l'autre réduit à un élément pris dans une masse moléculaire soumise aux feux médiatiques. Alors doucement on se retrouve inclus dans des poupées russes et entouré de voisins acceptables. Mike Davis démonte parfaitement les mécanismes de gentrification souvent produits par la xénophobie et l'altérité9. Cette machine favorise le devenir rhinocéros, quand les pinces gomment, effacent, séparent, et réduisent.

 

4° MÉCANIQUE URBAINE

a/ Ville linéaire et interzone      
Actuellement, Montpellier, Sète et Nîmes sont les villes principales du Haut Languedoc, fortes de leurs populations et de leurs résonances multiples affirmant leurs puissances régionales. La région du Languedoc-Roussillon va enregistré d'ici vingt ans la plus forte poussée démographique de France. De Sète à Nîmes, on comptera un million quatre cent milles habitants 10(estimation moyenne) répartis sur une bande de quatre vingt kilomètres de long et sur une largeur de quarante kilomètres, coincés entre les Cévennes et le littoral méditerranéen. En trente ans, quarante-cinq pour cent des trente milles hectares ont été consommés entre Nîmes et Montpellier, dont soixante pour cent consommés par la périphérie. Cette prospective accentue le phénomène métropolitain et l'ensemble des strates formera se qu'on nommera la ville linéaire, comprise comme cette large bande articulée par trois polarités primaires et structurée par la RN113, l'A9 et la voie ferrée autour desquels gravitent déjà des polarités secondaires et des champs pavillonaires. Cette réalité urbaine fragilise l'idée classique de ville pour la re-comprendre comme une multiplicité de forces de stratification avec des polarités et des résonances, des zones de puissance et de fragilité hétérogènes qui se matérialisent autour des vieux centres de villages. Cette ville linéaire éthérée verra sa densité diminuée pour se rapprocher de la densité de la galaxie Los-Angeles où chaque habitant consomme mille mètres carrés de construction contre deux cents mètres carrés consommé par un parisien. Dans cette ville linéaire en expansion diffuse identique à la scissiparité californienne11, la RN 113, l'A9 et la voie ferrée se groupent pour former un complexe de réseaux de communication mécanique, élément récurrent à toutes les strates : l'interzone 113, véritable épine dorsale stratégique de la ville linéaire. Ce glissement étymologique rend compte d'une réalité urbaine complexe et active où la RN113 n'est plus un axe de communication longitudinal reliant un point à un autre (une ville à une autre) mais un champ de forces réagissant en fonction de son hors-champ hétérogène, de la constellation suburbaine de la ville linéaire.

b/ Le zooning social     
L'interzone 113 et la ville linéaire sont le champ d'une territorialité radicale qui repose sur l'aléatoire, produit d'un zooning social. Ce zooning social se décompose en deux grands types de zoning (ou logique sectorielle monofonctionnelle) : le zoning économique et le zoning social.
_ Le zoning social au même titre que le zoning économique est une opération capitaliste du cycle économique. La propriété est une des figures du capitalisme. Si dans une ville (au sens le plus classique), à l'âge d'un macrourbanisme institutionnel, les régulations et les contrôles de flux de population étaient d'ordre molaire, il en est tout autrement dans les strates périphériques où s'enregistrent une augmentation de populations propriétaires de pavillons. Cette morphologie dominante a un mode de colonisation aléatoire, déterminé par une atomisation des décisions de deux ordres : d'un côté la demande est l'expression d'un désir d'accession à la propriété privée; de l'autre, une mise en comparaison générale des côtes foncières établies par les entrepreneurs privés est animée d'un désir de puissance capitaliste : l'offre des agences immobilières et des notaires. Cette bipolarisation conduit à une politique territoriale complexe de nature moléculaire où une multiplicité de particules ont individuellement l'autonomie de la décision. Ce cycle économique, échappant à tout organe de contrôle territorial, machine une auto-régulation de la production du bâti. Cet expansion se traduit par une anisotropie territoriale, l'expansion est altérée par deux pertubations territoriales : la différence paysagère et l'interzone. Si la différence paysagère semble consommée, on enregistre maintenant des plus-values foncières à proximité de l'interzone.
_ Le zoning économique mélange monofonctionnalisme biologique et efficience performative systémique. Ce zoning économique s'exprime par des surfaces monofonctionnelles de bâtiments industriels et commerciaux. Leur productions, loin des exigences historiques légitimant les besoins des populations molaires et l'organisation performative de la machine d'état, est à l'oeuvre dans un processus coextensif d'une multiplicité de désirs moléculaires d'entreprises privées (accession à la puissance capitaliste) conjuguée à des flux politiques désireux d'attirer sur leur communes des capitaux grâce à des incitations12.
Trois secteurs économiques sont majoritaires dans la ville linéaire : l'industrie du bâtiment, l'industrie automobile et toutes les activités qui visent la structure sociale dominante dans ces strates, les familles traditionnelles. Ces trois formes économiques sont la configuration précise de stratégies territoriales et programmatiques dans ces strates. Territoire et urbanité, formes économiques et désir de puissance se conjuguent à des flux moléculaires pour se manifester au travers la production du bâti. Ces programmations adaptées aux modes de vies des populations autochtones répondent très vite aux demandes quantitatives exponentielles, conséquence des poussées démographiques et consuméristes. Ces nouvelles programmations sur l'interzone 113 annoncent une nouvelle déterritorialisation des flux capitalistes, une nouvelle poussée des limites du capital.

c/ Paradigme contemporain      
Depuis vingt ans, l'interzone réunit une multiplicité programmatique remarquable dans son hétérogénéité et ses singularités : il s'est accroché dans cette frange territoriale un maximum d'activités que le potentiel économique pouvait supporter. Dans ce territoire inachevé et en perpétuelle mutation, un patchwork de programmations moléculaires privées viennent remplir les pores laissées par les zonings des  succursales et des franchises. Ces micro-polarités sont les plus sensibles aux devenirs démographique et consumériste. Cette auto-régulation programmatique se nourrit du quotidien, capte les flux désirants consuméristes des populations périphériques. Alors dès que la nuit tombe et que les néons clignotent, on est surpris de l'activité de cet entre-deux que l'on jugeait trop commercial et trop industriel pour exister autrement. Ce même interzone se transforme en entre-deux culinaire et festif, un gai mélange de restos de tous bords et de karaokés bruyants.
Un autre indice de la contemporanéité de cet interzone, la friche commerciale : la marque d'un transfert des flux économiques dû à une saturation locale du marché. Cet indice fonctionnel sert à mesurer la masse critique capitaliste locale. Une troisième forme économique s'enregistre dans l'interzone 113 : des sociétés de recyclage ou de dé-marque qui sont autant d'adaptation du capital aux nouvelles donnes sociales. Signe des temps, elle indique la tendance douce et lente d'une paupérisation imperceptible des classes moyennes.

d/ Enjeux et règles du jeu           
Le zooning social est le produit d'un double zoning, l'agencement de sédimentations auto-régulées du cycle économique animé par des désirs moléculaires hétérogènes accompagnant une expansion territoriale aléatoire, l'expression d'une dernière déterritorialisation des flux économiques qui coulent dans la ville linéaire et l'interzone 113.
Aucun contrôle régule ces stratifications dont le zooning social en est l'expression la plus singulière, la plus sauvage en marge de la production urbaine usuelle; la puissance de la machine écolibérale met en péril la stabilité de la machine d'état. La production du bâti est laissée aux fluctuations du marché où tout repose sur la subjectivité privée. La congestion programmatique que Koolhass a su évalué est un relevé réel de la production du bâti et des limites qu'imposent le capital aux champs d'intervention classique de l'urbanisme qui se contentera de restaurer des rond-points et d'ornementer les places publiques des centres villes.
Face à cette nouvelle distribution des pouvoirs, la construction d'un champ d'actions, d'opérations fondées sur ces devenirs et ses nouvelles règles du jeu s'impose de fait pour éviter de se ré-inscrire dans un interventionnisme des plus décalés. Une matrice éthique précautionnera ce champ d'actions en se libérant des carcans idéologiques et en dépassant une performativité recherchée par le système13.

 

5° LA MATRICE ÉTHIQUE

a/ Les cailloux et les papillons  
Dans ces strates périphériques, le champ social habitant ne produit pas, il consomme. Dans d'autres strates comme les cités françaises, le champ social produit alors que ça ghettorise. Comme si la gentrification14 glaçait les investissements libidinaux (matrice des machines désirantes15) tandis que la ghettorisation soumise à la dictature cynique du capitalisme et de l'étatisme favorisait l'invention productrice, la conjonction des flux culturels et sociaux capable de nouvelles formes d'expressions. Le caillou est un sujet immobile et clos, gentrifié, se regroupant en ensemble, noyé sous les crédits et appeuré par le manque toujours refoulé, immergé dans un système où l'inertie est contrarié par le capital qui s'exprime à travers crashs boursiers, licenciements, grèves et manifestations. Le système est autonome, non versatile et se libérer de son emprise douce reste difficile. Les puissances molaires des deux méga machines techniques, l'état et le capital16, sont matérialisées sous diverses formes organisationnelles dont la Territoriale, la ville, et la Sociale, les ensembles molaires de population, les cailloux, traversés par des lignes de fuites moléculaires, les papillons17, des générations pas encore gentrifiées capable de mouvements autonomes et légers, au pire ghettorisés, au mieux reterritorialisés, investis par le désir de produire, seule opération d'exister. Peut-être un séisme bougera-t-il l'ensemble mais est-il souhaitable d'éparpiller des cailloux en remodelant radicalement leur modes de vies et leur espérances vitales ? Faut-il transformer les cailloux en papillons ?

b/ L'espacement éthique             
Ces questions dessinent un espacement, une matrice éthique. L'espacement doit se préciser et les questions devenir les pôles entre lesquels la matrice cristallise une certaine éthique politique. Les questions sus-citées sont orientées : de nature utopique, elles visent à surdéterminer une partie du champ social pour le rabattre vers un horizon idéal. Cette opération obéit à une intention supérieure sous l'autorité d'une dictature bien pensante, les champs légitimes, qui au nom de l'émancipation de l'homme et de tous n'hésite pas à réinscrire autrui vers des destinées molaires dirigées. Il n'est pas question de souscrire à ces intentions; nous ne changerons pas la nature des propriétaires créditeurs immergés pour ne pas tendre vers une politique de rabattement pour ne pas verser dans un philantropisme inopérable pour finalement contrôler un devenir molaire du champ social qui derrière l'humanisme déclaré a tout d'une opération totalitaire. Des solutions d'ensembles et d'égalité ont rabattu l'émancipation individuelle et la liberté vers une obéissance répressive et violente ou actuellement vers un contrôle cynique et doux. Ces tentations intellectuelles et logocentriques réinscrivent d'un mouvement sec et vif toute lecture pragmatique dans un champ idéaliste à laquelle elle ne peut souscrire. Et malgré le risque du devenir rhinocéros18particulièrement sensible chez les cailloux créditeurs, nous ne proclamerons ces directives. Cette prudence est une seconde précaution qui laisse les objets dérivés d'eux mêmes. Les deux matrices, critique et éthique, à chaque moment libèrent les forces de production et l'expérimentation sur les devenirs; la pragmatique dévoile et nuance l'objet-ville tandis que l'éthique précautionne les règles du jeu et conditionne l'existence délirée de la ville.

 

6° LE MICROURBANISME

a/ Les traits distinctifs 
Si le microurbanisme est une politique urbaine, il se distingue de cette politique usuelle, ou macrourbanisme, de plusieurs traits. Il ne répond pas à une finalité extérieure idéaliste, il se soumet aux conditions d'existence et aux processus de production et de transformation territoriales et sociales. Il ne commence pas par une abstraction qui invalide le déterminisme contextuel, il intercepte au milieu les flux machinant les strates et il est l'objet de trois règles sélectives. Ces trois règles sont à la source d'une production libérée capable de distortion en phase avec les devenirs du champ social. Le système fonctionnaliste et performantiel doit être surmonté par le concept de masse critique et par le dépassement de la subordination de la fonction à l'organisation molaire de l'organisme. La seconde règle opérant dans le réel s'appuie sur les forces dégagées par la pragmatique. Les stratégies microurbaines en précisant les mécaniques au pouvoir et en mesurant les forces capable d'actions tangibles. La troisième règle consiste à ne plus consulter des majorités dominantes d'ensembles mais des minorités de masses nuancées dans un champ social homogénéisant pour de nouvelles transformations territoriales.

b/ Les règles sélectives
_ La première règle est une critique du rabattement téléologique emprunté par le macrourbanisme et une précision du concept de masse critique19 qui déstabilise l'organisation molaire de l'organisme. Dans les systèmes démocratiques capitalistes, les motivations politiques des chartes urbaines répondaient aux transformations molaires s'appuyant sur une idéologie moderniste. Le macrourbanisme, opération radicale de transformation territoriale a répondu aux exigences historiques (migration molaire, explosion démographique et progrés social) en s'attachant à combler les besoins inhérents à ces devenirs. On augmentait l'efficience de cette organisation territoriale complexe, la ville, en la rationalisant, en la réduisant à une structure, à un système où les fonctions sont subordonnées à une totalité, l'organisme. Cette organisation molaire de l'organisme trouve encore sa légitimité dans des axiomatiques favorisant la performativité d'un système. Le microurbanisme n'exige plus à l'organe de remplir une fonction et de se subordonner à l'organisme. L'organe rentre dans un agencement machinique où il se conjugue à d'autres organes hétérogènes pour de nouvelles fonctions qui débordent la finalité organisationnelle de la totalité molaire. Cette paralogie20 favorise l'invention de nouvelles fixations programmatiques, de nouvelles sédimentations dans les strates très sensibles aux disjonctions comme l'interzone. La ville devient une potentialité, un ordre de grandeur avec son rapport différentiel production/accumulation stimulé par un degré d'hétérogènes. Plus ce degré augmente, plus l'organisation de l'organisme-ville devient complexe. Chaque ville produit une masse propre d'hétérogènes partiels : synthétisée par des règles du jeu privilégiées et en mouvement perpétuel . La ville est cette multiplicité d'hétérogènes dans un champ de forces, des masses propres de puissance et de fragilité, et dont la masse critique est cette masse saturée capable de disjonction grâce aux débordements des organes dans de nouvelles conjugaisons programmatiques.
_ Le plan de guerre sélectionne les moments critiques des sédimentations, mesure les déterminismes locaux pour définir des actions tangibles dans des strates aux sédimentations saturées pour augmenter les chances de survivance. La mesure : le plan doit mesurer les économies locales capable de devenir une règle du jeu avec laquelle on composera. Le zooning social comme force organisationnelle locale est un ensemble d'opérations particulières n'existant pas dans toutes les strates territoriales où d'autres machines politico-économiques plus classiques stratifient les territoires où elles opèrent. La production du bâti dans ces strates a succombé aux dernières déterritorialisations des flux capitalistes. Cette nouvelle donne renforce la perte de puissance, de capture et de contrôle, de l'état et confirme sa subordination à la machine écolibérale21. La précision : la sédimentation est un phénomène qui fixe dans le temps des programmations. Elle n'a ni commencement, ni fin; elle obéit à des successions de devenirs, à des passages régis par des vitesses d'involution22. Il surgit des sédimentations différenciées qui rendent compte de masses propres particulières et qui obéissent à des vitesses et des phases temporelles. La précision des actions tangibles est fonction de ces phases de stratification, quand les sédimentations n'ont pas encore usées toutes leur forces et toutes les potentialités de la strate investie pour la transformer, la faire franchir un nouveau seuil. Cette règle détermine des temps d'actions en attendant qu'une strate supporte un degré d'hétérogènes relativement important, que ses sédimentations soient saturées ou en nombre suffisants pour les affecter de nouveaux hétérogènes capable d'alourdir la masse propre et la voir glisser vers une masse plus critique.
_ La troisième source portant et sélectionnant des devenirs minoritaires en résonance avec des devenirs capitalistes est un double mouvement :
- on sélectionne dans le champ social homogénéisant des masses moléculaires de popûlation pour  les travailler en nuance. Dans un champ urbain global, là où les urbanités, les moeurs et les modes de vies (travail et loisirs) sont conditionnés par une capture molaire, les différences sont nuancées et l'urbanité s'atomise dans un phénomène sensible et encore flou : la tribalité urbaine. La tribalité est une multiplicité de devenirs de masses moléculaires grouillant au sein même du champ homogène issue de cette harmonisation entretenue par les machines d'état et capitaliste. Cette tribalité ne se fait plus par filiation mais par alliance, par des communications transversales qui traversent toutes les populations hétérogènes et débordent la classe sociale.
- Le second mouvement est l'objet de tous les devenirs capitalistes qui ne cessent de se synthétiser à l'heure des télécommunications numériques. Malgré les ratés, les dépréciations périodiques du capital qui font l'objet de médiatisations, le capitalisme ne cesse de repousser ses propres limites au prix de transformations toujours plus inventives et de nouveaux axiomatiques exprimant leur énoncés d'ordre avec toujours plus de fermeté. De nouvelles formes de production germent pour repousser ces propres limites en échappant aux axiomatiques existantes. On assiste à la formation d'un nouveau capital à fort taux de profit.

c/ L'invisibilité              
Ces déterritorialisations capitalistes et sociales doivent être jauger et sélectionner dans l'intention d'une connexion avec d'autres hétérogènes pour venir saturer les strates et leur champ de forces, faire déborder les fonctions et l'organisation molaire d'une totalité en précisant quelle temporalité peut synchroniser cette micropolitique urbaine avec les sédimentations incontrôlables du zooning social. Ces trois règles étroitement mêlées, critique du rabattement téléologique et du fonctionnalisme du macrosystème, de la majorité d'ensembles et de puissances molaires dépassent l'horizon urbanistique moderne pour un urbanisme souple, actif et plus lent, presque oriental. Cette volonté de combiner ces trois lignes, on la nommera "l'invisibilité".

d/ Les agencements machiniques
Le microurbanisme monte des situations parallèles où des hétérogènes saturent la masse propre d'une strate pour de nouvelles limites sociales, économiques, politiques portées à la marge. Ces rencontres sont des agencements machiniques composant avec des éléments hétérogènes en devenir distincts et indépendants les uns des autres. Cette distinction réelle des éléments en tant qu'elle implique une logique spécifique les met en tension et la communication et la contagion opèrent entre ces différents hétérogènes en réinventant des règles du jeu locales23. Ils se modéliseront pour contribuer à une "meilleure opérationnalité mais ils n'appartiennent pas à une seule finalité du système mais celui-ci les tolèrent et indiquent d'autres finalités comme d'assurer la responsabilité de leur règles et effets"24.
Les quelques exemples suivant d'agencements urbains seront à la marge, à la bordure, là où le macrourbanisme est poussé dans ses dernières formes opérationnelles tandis qu'une autre action se localise dans les nouveaux devenirs capitaliste pour de nouvelles formes de production conjuguées à des équipements de pouvoir et un dernier exemple cristallisera des masses moléculaires de population à travers une tension socio-économique de la production architecturale.
_ Limite macrourbaine Le zooning social est une dérive où tout organe de contrôle est absent et l'espace devient le témoin de l'asservissement de la machine d'état à la machine capitaliste : la loi du marché dicte et légitime les coups à jouer. Dans cet asservissement, la macropolitique urbaine doit trouver un lieu d'existence pour se poser comme organe de contrôle et de planification. La mobilité est le lieu de cette ambition : la machine libérale a besoin d'une politique de régulation des flux routiers (et augmenter les zones isochrones) pour améliorer sa performativité. La mobilité devient la dernière forme opérationnelle d'un macrourbanisme écolibéral encore capable de projeter un devenir fonctionnel. La strate de la ville classique a une polarité primaire et impériale, celle dont l'attraction puissante aimante d'importants flux migratoires quotidiens entrainant des saturations internes et à sa frange. Le DVA, organe exécutif chargé des flux du bassin montpellierain propose une multiplication de pénétrations dans la strate centrale. Ce dispatch ne résoud en rien la saturation : la division du flux en (x) flux ne diminue pas la bande passante du flux automobile. Seule une multiplication typologique des flux dans les strates périphériques où la saturation n'existe pas permet la désaturation des flux centraux et des bordures; ce feed-back fonctionnel périphérique demande une programmation contemporaine assurée par la gare multi-modale, un appareil de capture convertissant les flux migratoires. La programmation fonctionnelle de cet équipement de pouvoir capable d'assurer cette gestion hybride des flux remplit les exigences d'une multiplication des flux. Cet hétérogène transforme la nature de la strate et peut supporter une gestion hybride incitée par les collectivités territoriales (la commune doit être dépassée) et appuyée par des machines capitalistes, comme l'industrie des transports. Ce dépassement du pouvoir central par des rapports de force et de décisions déterritorialisera un peu plus les deux machines d'état et capitaliste. Cet équipement ne sera plus la propriété d'un seul, devenant un appareil hybride de contrôle et de conversion des flux à l'échelle des strates du centre et des périphéries.

_ L'"étoile de guerre" questionne les rapports de forces entretenus par l'état et l'écolibéralisme pour les retendre dans une nouvelle conjugaison en les déterritorialisant en même temps que des strates, des ensembles molaires et des collectivités. Dans l'interzone comme à New York, on retrouve des traces de productions culturelles moléculaires sous forme de tags et de graphes. Il ne s'agit pas ici de chercher la paternité de ces mouvements mais de considérer des productions atomisées aux quatres coins de la planète, indices d'une même reconnaissance identitaire. La micropolitique se charge de relever quels types d'investissements traversent la machine capitaliste incapable de recoder ces flux moléculaires. L'objet de cet agencement est de capturer ces investissements libidinaux, ces flux désirants au sein même de la machine capitaliste en conjugant ces flux moléculaires avec les flux capitaliste sous ses dernières formes de production (comme la microéconomie techno-culturelle) pour de nouvelles reterritorialisations25 qui font passer des actions désirantes d'une potentialité à une production "industrielle". Cet agencement comprend trois hétérogènes dans un territoire de contact, territoire favorisant l'émulation productrice. Le lycée est un équipement de pouvoir et de capture d'ensembles molaires de lycéens qui n'est pas en mesure de révéler nos désirs machinants mais plutôt de nous éduquer afin de remplir des fonctions molaires. Après l'attraction, le lycée rediffuse des masses moléculaires de lycéens devenus des groupes sujets investis sur un territoire de contact. Le second hétérogène, sous l'incitation politique est une forme associative. Un gestion hybride entre politiques et masses investies permettront aux lycéens désireux de sortir du carcan éducatif et de s'initier aux nouvelles formes de communication et de productions technologiques. Le dernier hétérogène est une ou plusieurs sociétés à haute valeur ajoutée (la technobussiness, le multimédia, l'industrie des jeux et des transmissions numériques) qui profiteront de l'enthousiasme et de l'énergie des flux désirants des masses investies à travers les associations hybrides. Ces trois hétérogènes pourront se connecter, communiquer et déterritorialiser les flux capitalistes, culturels et politiques pour une production locale et mondiale sur un fragment d'espace lisse. A cette déterritorialisation du champ social correspond une déterritorialisation du territoire. Actuellement, la localisation du lycée est perdue entre les deux communes concernées, sur une colline de garrigue. On peut y voir une exaspération du système ponctuel du fonctionnalisme urbain ou une immersion politique dans la machine écolibérale dénotant une absence de distanciation critique. Dans le cadre de l'agencement, on déplace le lycée dans un vide laissé par la machine capitaliste, signe de la saturation de la masse critique économique dans cette strate. S'implanter dans ce vide, c'est amener (augmenter la puissance de la strate) une nouvelle sédimentation post-libérale, hybride, qui déterritorialisera un peu plus l'interzone dans de nouvelles synthèses programmatiques qui renforceront son caractère contemporain, stratégique dans la ville linéaire.

_ L'"alliance" compose avec de nouvelles minorités dans les strates périphériques et avec un contre-pouvoir politique comme horizon d'une nouvelle production architecturale. La machine d'écartèlement favorise l'intolérance face à l'altérité par substitution et par séparation. L'identification corporelle de l'autre sur un territoire de contact, c'est à dire l'opération qu'effectue la mixité ne se fait plus. Dans ce cadre précis, la mixité n'est plus une utopie; elle ne se légitime pas, elle ne s'idéalise plus. La mixité corporelle limite les dérives sociales, politiques et intellectuelles. Elle devient un contre-pouvoir politique face à la machine d'écartèlement. Le zooning social machine sur des ensembles molaires de population, sur ces cailloux créditeurs et propriétaires. Pourtant dans les pores de la machine surgissent des élans moléculaires, de nouvelles minorités sociales qui habitent différement les strates : ces minorités locataires préférent la vie plus distante, peut être moins stressante. Ces nouveaux logements collectifs sont en marge mais la demande s'accentue et tendra à se précipiter. Avec une augmentation des flux migratoires quarante pour cent plus élevé que ceux de la région PACA dans les vingt prochaines années, la ville-région du haut-Languedoc verra des flux de minorités migrantes( des chômeurs, des RMiste et des revenus bas à moyen qui ne pourront pas accéder à la propriété et qui refusent la vie dans les grands ensembles, rare alternative à la prohibition sélective des loyers de la ville étudiante de Montpellier) chercher des logements sociaux dans ces strates. La répartition de ces logements collectifs profitera de programmations de proximité existantes en investissant ici encore les pores libres du zooning social pour une nouvelle sédimentation sociale. Ces logements collectifs sociaux ont pour objet de tendre vers une mixité sociale plus large, de préciser leur position politique et sociale. Deux directions vont être retravailler, dans la verticalité et dans l'horizontalité pour déployer de nouvelles forces identitaires qui luttent contre la machine d'écartèlement. Le principe locatif usuel repose sur un prix au mètre carré constant à la construction comme à la location du rez de chaussé au dernier étage. Ce qui suppose qu'une seule catégorie sociale loge dans cette même verticalité. L'alliance au contraire s'établit sur une variabilité du prix au mètre carré dans une multiplicité de verticales de même type. De fait, au sein d'une même verticalité, une palette sociale élargie est possible : on assiste à une re-distribution sociale et économique : la nouvelle construction suppose une nouvelle conception architecturale qui devra trouver un nouveau basculement pour retrouver un prix moyen initial du mètre carré. L'autre force qui supporte la mixité se poursuit dans l'horizontalité dans un gradient commun horizontal. Celui-ci commun à toutes les verticalités retravaille sur des syntagmes périmés 26 (ruelles, impasses, venelles...) qui augmentent les territoires de contact et les processus d'identification corporelle.

 

7° APPROCHES ET FUITES

A l'aide d'une multiplicité de concepts choisis dans une matrice critique et inspiré du réel présent par une pragmatique, les récits d'autres réalités urbaines deviennent le lieu d'expression d'une production urbaine et architecturale libérée. Une matrice éthique guide, dé-limite un microurbanisme, dernière forme opérationnelle de contrôle, de régulation, de planification, de stratification avant le non-lieu d'une politique urbaine. Le microurbanisme se pose comme système multilinéaire de récits composant, agençant des devenirs, des lignes de fuite sociales, politiques et capitalistes dans de nouvelles conjugaisons, de nouvelles sédimentations programmatiques à l'heure des sociétés de contrôle (d'informations, de populations, de savoirs...). Ces compositions viennent déterritorialiser un peu plus le territoire et le champ social en travaillant des devenirs minoritaires alimentés par un réel en variation continue. Mouvement d'hommes, de capitaux, de désirs : économie libidinale. Ces décodages territoriaux et sociaux des agencements machiniques, produits de sédimentations hybrides, articulés par des équipements de pouvoir, de capture ou de champs d'intensité sociale inventent une nouvelle sorte de stratification territoriale contemporaine ouverte, capable de distortion et poreuse avec son patchwork programmatique instable et évolutif, se jouant des macropolitiques et de ses systèmes fonctionnels et ponctuels statiques et périmés. Ces agencements machiniques, ces récits investissent l'homme au coeur du projet urbain et de l'aventure humaine, esquissent un plan de consistance : ce plan où une strate tend à se saturer d'une masse critique hétérogène sous les coups d'une conjugaison de flux déterritorialisés qui ne cessent de faire fuir et de sortir de tout catalogue urbain l'interzone et la ville linéaire. Ce n'est pas un hasard si nous avons consommé le modernisme et son système point-fonction où le besoin molaire et ensuite la performativité économique légitime les macro-décisions et ses programmations urbaines. Et ce n'est pas un hasard si la Chine populaire continue (ou recommence ?) dans cette voie moderne. Cette Chine rentre à son tour dans le marché global capitaliste avec encore son appareil d'état très lourd  alors que les états post-modernes mutent déjà pour de nouveaux devenirs, de nouvelles transformations du champ social. Alors quand sur des territoires, les sédimentations successives sont écumées, quand la machine capitaliste s'est déjà déplacée vers de nouveaux territoires, de nouveaux systèmes multi-linéaires  avec ses agencements machiniques déterritorialisent encore une fois ces territoires qui ne possèdent plus de limites et deviennent des strates dans laquelle l'espace strié du zooning social machinant voit des champs de possibles se cristalliser et des fragments d'espaces lisse apparaître.

 

Le  3 Décembre 2000

 

1- Jacques Derrida : L'écriture et la différence, Ed du Seuil, Paris, 1967.
2- Jean-paul Sartre, Situations II, Ed NRF Gallimard, Paris 1974, p 144.
3- Roland Barthes : introduction à son cours de 1977 au collège de france: le désir de neutre.
4- Mike Davis : City of Quartz, Los Angeles capitale du futur, Ed La Découverte, Paris, 1997.
5- Jean-François Lyotard : la condition post-moderne, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1979.
6- Paul Virilio : L'espace critique, Ed Christian Bourgois, Paris, 1984. N'y a t-il pas un délire, une perte d'accroche au réel du discours entretenue sur l'indéterminisme de la quantique et de son imperceptibilité physique et psychique ?
7- Jean Baudrillard : La fin de la modernité ou l'ère de la simulation, in Encyclopeadia Universalis, Vol 17 Symposium, Ed Encyclopaedia Universalis France 1980 p8-10.
8- Gilles Deleuze et Félix Guattari : Mille plateaux, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1980
9- Roland Barthes : Mythologies, p44
10- INSEE- Repères n° 20-21, 1996
11-Jean-Paul Sartre, Situations III, Ed NRF Gallimard, Paris 1974, p 97.
12- G Geiser Droit administratif, Ed Dalloz , Paris, 1979
13- Jean-François Lyotard : La condition post-moderne, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1979,
14- Mike Davis : City of quartz, L.A, capitale du futur, Ed La Découverte, Paris, 1997.
15- Gilles Deleuze et Félix Guattari : L'anti-oedipe, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1972.
16- Les rapports entre ces deux machines sont l'objet de toutes les stratégies politiques et un équilibre précaire avec des démocraties nuancées (le dualisme totalitarisme- démocratie est en passe à s'effacer) s'esquissent aujopurd'hui: les modèles anglo-saxon, français et allemand, sud américain...
17- Kafka démonte toutes les cloisons hiérarchiques de la bureaucratie, il localise les transversalités opérant dans la machine étatique.
18- Eugène Ionesco : Rhinocéros, Ed Gallimard, col Folio, Paris, 1959. Le rhinocéros est plus qu'une métaphore, il est la transformation et le devenir du citoyen en faciste. En devenant, la nature même du sujet change : le caillou devient rhinocéros.
19- Travailler sur l'hétérogénéité des organes, c'est rendre compte du caractère indéfinnissable de l'objet ville, c'est l'honorer dans cette indiscernabilité constitutive, de cette impossibilité à dégager l'essence d'une définition
20- Jean-François Lyotard : la condition post-moderne, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1979.
21- Gilles Deleuze et Félix Guattari: Mille plateaux, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1980
22- Gilles Deleuze et Félix Guattari: Mille plateaux, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1980 : l'involution est une forme d'évolution filiative qui se fait entre hétérogènes grâce à la communication et la contagion.
23- Gilles Deleuze et Félix Guattari : Mille plateaux, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1980
24- Jean-François Lyotard : La condition post-moderne, Ed de Minuit, col Critiques, Paris, 1979, p107.
25- Toute politique urbaine est une opération de stratification : elle recode les flux sauvages en les caturant et en les réorganisant dans un plan; cette limite est insurmontable
26- Françoise Choay : Sémiologie et urbanisme, Ed du Seuil, Paris 1972.